Ultra Endurance : passe ton marathon d’abord !

Quand on parle d’ultra endurance, on fait référence le plus souvent aux ultra-trails ou aux épreuves de 100 km et 24 heures sur la route.

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En trail, les épreuves de distances inférieures apparaissent comme des moyens temporaires d’accession au Graal, le 160 km et ses 10 000m de dénivelé positif. Mais si disputer un ultra-trail est un objectif légitime, il est recommandé de respecter certaines étapes afin d’optimiser ses chances de réussite et de préserver son intégrité physique et psychique. Idem sur la route même si les enjeux sont différents. On ne se lance ni sur un 100km ni sur un 24 heures sans un minimum d’expérience acquise au fil des années.

L’endurance

L’endurance, tout le monde connaît. C’est la capacité à courir ou progresser longtemps, à durer, même si pour les physiologistes c’est une notion plus complexe que l’on peut mettre en équation. Mais l’ultra-endurance, c’est quoi ? Si la réponse est subjective, il existe un consensus pour dire que l’ultra-endurance concerne les distances au-delà du marathon (42.195 km). Pour les chercheurs, il s’agit plus d’une question de durée que de distance, chacun n’évoluant pas à la même vitesse et sur les mêmes terrains. Ainsi, l’ultra-endurance concerne les durées d’effort excédant les 6 heures. Pour la plupart des coureurs, cela concerne donc les distances au delà du marathon, sur la route pour tous les coureurs entraînés, et en trail selon la difficulté des épreuves. 

Certes, courir est le propre de l’Homme car l’être humain possède un grand nombre d’adaptations à l’endurance et même l’ultra-endurance :

  • Un système musculosquelettique permettant une locomotion bipède efficace,
  • Un moyen ingénieux d’évacuer la chaleur endogène : la transpiration,
  • La capacité d’emmagasiner et de restituer de l’énergie (dite élastique) aux niveaux des muscles, tendons et tissus conjonctifs. 

Pour autant, les affres de la vie moderne ont mis à mal ces adaptations. Le manque d’activité physique à l’école, la sédentarité (car on peut être actif et sédentaire), la pollution, la malbouffe…ont réduit fortement ses capacités et leur expression. L’être humain s’est trouvé dépossédé d’habiletés physiques qui ont fait sa supériorité au sein du règne animal. De lent et endurant, l’Homme est resté simplement lent et désadapté à la motricité en milieu naturel. Cela peut expliquer en partie que le marathon a fait figure d’épreuve ultime pendant de longues décennies avant l’avènement du trail et des épreuves extrêmes dans les années 2000 (le premier UTMB© date de 2003). Mais on ne redevient pas ultra-endurant en un claquement de doigts, la réadaptation aux efforts de longue durée nécessitant un long apprentissage qui ne dépend pas seulement de l’âge de l’athlète. En effet, et c’est la première idée reçue à balayer : on peut être jeune et endurant, tout dépend de son expérience et de son passé sportif. Un enfant dont les capacités physiques (endurance, force, souplesse, vitesse, coordination…) sont sollicitées très tôt et de manière ludique bien entendu peut montrer d’excellentes qualités d’endurance dès l’âge adulte. Pour preuve la victoire de Kilian Jornet à l’UTMB© pour ses 20 ans, ou les performances exceptionnelles des jeunes coureurs est-africains sur marathon. 

A contrario, on peut être âgé et inexpérimenté sur les épreuves d’ultra-endurance, malgré de l’expérience en course à pied. Aux débuts de l’ultra-trail, le constat était flagrant : ceux qui réussissaient le mieux ne venaient pas de l’athlétisme mais du raid, du triathlon ou du ski, c’est-à-dire des disciplines d’endurance, voire d’extrême endurance sur plusieurs jours, croisées et portées. Par conséquent, si on vient de la course à pied, on a développé des qualités de base importantes mais insuffisantes à la réussite sur des courses longues, de surcroît avec du dénivelé positif et négatif, et de la technicité. Et la transition de la piste/route à la montagne/trail peut prendre de longues années, et nous verrons pourquoi par la suite. 

Mais avant d’entamer cette transition, vous êtes-vous posé les bonnes questions, à savoir ?

  1. Est-ce que je conçois la performance (au sens de l’accomplissement de soi) comme une augmentation régulière des distances et des difficultés en compétition ? 
  2. Ou est-ce que je conçois la performance comme un progrès (vitesses, temps, classements…) sur un même format d’épreuves (trails courts par exemple) ?
  3. Mon but est-il d’accumuler toujours plus d’épreuves et de kilomètres en une saison ou au contraire d’être plus performant sur un nombre limité de courses ?

Ces questions doivent être posées et murement réfléchies, en essayant d’évaluer l’influence des médias et des réseaux sociaux sur nos comportements. Chacun est libre de ses choix mais les risques inhérents à chaque pratique sont différents. L’incidence des blessures est plus élevée si on vient trop rapidement à l’ultra ou si on accumule trop d’épreuves. Le meilleur ultra traileur français François d’Haene est un bel exemple de progressivité et de longévité. Le quadruple vainqueur de l’UTMB©, issu de l’athlétisme, a pris le temps de la maturation et sait gérer intelligemment ses saisons en s’octroyant des périodes de récupération et en variant les disciplines pendant la saison hivernale (ski de fond, ski alpinisme…). Il revient ainsi chaque début de saison de trail avec de la fraîcheur et une motivation intrinsèque renforcée. Un bel exemple à suivre dans cette discipline. Pour l’ultra endurance sur route, nous pouvons citer l’exemple d’Erik Clavery. Lui est issu du triathlon ironman puis du trail (champion du monde (2011), 4ème au Grand Raid de la Réunion (2012) et 6ème à l’UTMB (2015). En 2018, après une 8ème place à l’UTMB©, il tente l’aventure du 24h route et devient champion de France avec 254 km. En 2019, aux mondiaux de la spécialité, il établit un nouveau record de France avec 272.217 km. On peut établir un parallèle avec François d’Haene dans la gestion des saisons avec un minimum d’objectifs et l’octroi de longues périodes de récupération, mais aussi dans la progressivité. Au final, ce sont deux athlètes qui démontrent une belle longévité au plus haut niveau. 

La progressivité, c’est le mot clé au démarrage et tout au long de l’activité. C’est d’ailleurs le premier principe d’entraînement, en course à pied comme dans toute activité physique. Pourquoi la progressivité ? Justement pour respecter l’inertie des processus d’adaptation et de récupération. L’entraînement provoque des bouleversements physiologiques au niveau central (cardiovasculaire) et périphérique (musculaire) dont la stabilisation, toujours temporaire, nécessite plusieurs semaines. 

Pour favoriser au mieux les processus d’adaptation, il faut appliquer la progressivité dans la planification et la programmation, dans les distances et les difficultés de course, les charges de travail, la durée des sorties longues, les intensités de travail, le renforcement musculaire, le travail technique…Tout cela est important sur le plan physique mais également mental pour vaincre les croyances limitantes en termes de durées comme d’intensités. 

Pour mieux comprendre les enjeux de ce principe de progressivité, il faut revenir aux spécificités de la discipline trail. Les recherches entreprises ces deux dernières décennies ont mis peu à peu en évidence un nombre important de paramètres, qu’ils soient cardiovasculaires, musculaires, techniques, stratégiques, nutritionnels… Voici un schéma des facteurs de performance en trail (à retrouver dans « Les 12 séances clés du trail », Outdoor Editions).

A la lecture de ce schéma, on peut aisément comprendre la nécessité du temps d’acquisition de ces différentes habiletés physiques et mentales. La force, l’endurance de force, la technique de descente, l’utilisation des bâtons, le choix du matériel, le protocole alimentaire, l’hydratation quantitative et qualitative, la gestion de l’effort…s’acquièrent et s’améliorent sur le long terme, parfois sur le mode essai-erreur. C’est également tout l’intérêt de cette discipline qui ne repose pas uniquement sur des paramètres énergétiques. Cela veut dire que l’on peut continuer à progresser même si les qualités cardiovasculaires et musculaires ont atteint leurs limites et commencent même à décroître. Pour l’ultra endurance sur route, quelques paramètres sont à réviser (tout ce qui concerne les montées et les descentes), et on peut en ajouter d’autres car courir de très longues heures sur un même terrain requiert entre autres de fortes habiletés mentales. 

Ce qu’il faut comprendre, c’est que tout ne peut pas se développer en même temps. Pour les débutants, on conseille de commencer par développer les qualités cardiovasculaires et musculaires afin de pouvoir progresser sereinement en milieu spécifique. Viendront ensuite les considérations techniques, stratégiques, mentales, nutritionnelles…

Projetez-vous sur plusieurs années 

On peut conclure logiquement que l’ultra endurance nécessite un long, voire très long apprentissage, pour en maîtriser tous les paramètres et pour pouvoir pratiquer de manière sécure. Si ce sont les épreuves d’ultra qui vous font rêver, projetez-vous sur plusieurs années, ce qu’imposent les épreuves nécessitant des points, et donc de l’expertise. Et en attendant, faites vos armes sur des épreuves de durées inférieures et croissantes. On pourra y développer toutes les qualités de base, améliorer sa technique, affiner ses protocoles alimentaires, progresser techniquement, peaufiner son pacing, générer moins de fatigue et récupérer plus rapidement pour enchaîner sur un autre objectif. Année après année, sauf contre-indications (blessures à répétition, désordres gastrointestinaux récurrents et structurels…), vous serez en mesure d’accomplir de plus longs efforts sans que le ressenti soit nécessairement plus élevé. 

Maintenant, parlons de préparation. Deux grandes écoles se font face en théorie. Ceux qui bornent en accumulant beaucoup de sorties longues spécifiques à basse intensité, et ceux qui adoptent le principe de précaution « courir moins pour courir mieux » et qui se concentrent sur la charge davantage que sur le volume. Bien entendu, cela est schématique car il existe une multitude de façons de s’entraîner et il est important de trouver celle qui nous correspond le mieux, c’est-à-dire celle qui va nous faire progresser tout en se préservant. Une récente étude (Pastor et al. JSCR 2023) a comparé les temps d’entraînement des coureurs élites, sur trail et sur route, ces derniers surpassant largement les traileurs (79 +/- 20 h /mois vs 44 +/- 11 h). Mais attention car il serait plus juste de comparer les charges de travail qui tiennent compte d’autres paramètres comme l’intensité, la spécificité, le nombre d’entraînements… De même, quelle est la part de l’entraînement croisé dans ces cycles de travail ? Nous savons qu’elle est très importante en trail pour une grande majorité de pratiquants, et notamment l’élite. La part du croisé peut atteindre 50% en temps d’effort du temps total d’entraînement. Pour les coureurs d’ultra endurance sur route, il semble que le croisé ne soit pas encore rentré dans les mœurs, et que le principe de spécificité (valable au niveau des allures, du revêtement et des intensités) soit toujours roi au détriment du principe de transfert. En effet, on parle d’entraînement croisé quand les compétences développées par l’activité en question (vélo route, VTT, ski de fond, ski alpinisme…) sont transférables à l’activité principale (le trail ou la course sur route). Les transferts peuvent être d’ordre cardiovasculaire bien sûr mais aussi musculaire, biomécanique, stratégique… Par exemple, la très grande majorité des adaptations centrales et périphériques provoquées par un entraînement en endurance en vélo sont les mêmes que pour un entraînement en course. Les avantages sont la réduction des chocs excentriques de la course (certes indispensables mais délétères sur le long terme) et la réduction de la monotonie, avec selon les parcours un travail intéressant en endurance de force au niveau des quadriceps notamment. 

Mais l’entraînement n’est pas qu’une affaire physique, c’est également une problématique psychologique à laquelle l’entraîneur et l’athlète doivent s’adapter. Certains ont besoin de plus de séances, de plus d’heures de travail que d’autres. Mais cela doit se faire dans certaines limites raisonnables (la balance charges-récupération) au risque de basculer dans une fatigue chronique symptomatique du surentraînement. Savoir être à l’écoute de son corps, ne pas culpabiliser pour un entraînement annulé ou réduit, font partie des habiletés mentales qui s’acquierent sur le long terme même si certains semblent mieux prédisposés que d’autres. 

Pour tous, il faut de toute façon répondre à un moment ou à un autre aux spécificités de l’ultra, à savoir principalement de longues durées d’effort, du dénivelé positif et négatif et parfois de la technicité. Cela peut se faire sous la forme de courses de préparation (de durées inférieures bien entendu) ou de week-end de charges (dits week-end choc) qui vont permettre également de mettre au point les stratégies d’alimentation-hydratation et gestion de l’effort. Pour les coureurs résidant en plaine, c’est l’occasion de faire du dénivelé mais attention car le risque de blessure est accru quand le stress mécanique et musculaire passe de peu à beaucoup. Comme toujours, il faut être progressif. 

Pour autant, beaucoup de personnes ne suivent pas ce raisonnement et adoptent le suivant : la meilleure façon de devenir un ultra-traileur averti est de répéter les ultra-trails et d’acquérir sur le tas l’expérience nécessaire. Cela peut paraître logique. Pourtant, est-ce qu’un coureur de 100m se prépare en répétant des 100m ? La réponse est non et c’est la même chose pour toutes les disciplines. Le but de l’entraînement est de mettre en place des séances (entraînement de course à différentes intensités, entraînement croisé, renforcement musculaire, travail technique, stratégique, en montée, en descente…) pour développer harmonieusement toutes les qualités inhérentes à sa spécialité. C’est ainsi que l’on va améliorer sa motricité globale et ses capacités d’adaptation. Et vous l’avez compris, tout cela demande du temps et de la patience, surtout si on débute dans la discipline et que l’on n’a pas un passé sportif à dominante aérobie. Ainsi, et pour en revenir au titre, le marathon de montagne est une première étape significative dans une progression vers l’ultra. Cela représente déjà de longues heures d’effort et met en jeu tous les paramètres de la performance vus dans le schéma. C’est d’ailleurs à ce moment là que vous déciderez de rester sur des distances similaires, ou au contraire de vous lancez dans l’aventure de l’ultra trail avec raison et en accumulant de l’expérience.

Vous pourrez retrouver ces préceptes d’accession progressive à l’ultra endurance dans un prochain ouvrage à paraître en juin, co-écrit avec Erik Clavery et intitulé : « L’ultra endurance autrement »

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