J’ai des ultra-hallucinations. C’est grave Docteur ?
Les hallucinations sont quasiment monnaie courante dans le monde de l’ultra-trail. Passées 36 heures de course, la seconde nuit peut s’avérer fatidique. Près de 57 % des coureurs* en font l’expérience, pour le meilleur et pour le pire. Selon de nombreuses études médico-psychologiques, les hallucinations proviennent d’une privation trop importante de sommeil lors d’une activité de haute intensité dans des conditions extrêmes. Une déshydratation sévère, une hypoglycémie ou une hypothermie ne semblent pas contribuer à leur apparition. Si certains les perçoivent comme une évasion – aventure dans l’aventure qu’est déjà l’ultra-endurance – d’autres se questionnent encore sur les significations de leurs éléphants roses. Messages de l’inconscient ? semi-réalité, pleine conscience ? mieux : vortex de la connaissance ? Stargate en courant, « ma parole, je te jure que je l’ai vu en vrai ». Témoignages d’ultra-traileurs aventuriers, tous barrés.
Samuel, 51 ans, informaticien, ultra-traileur
« Mes hallucinations arrivent la nuit, dans une atmosphère qui laisse mon imagination s’évader parce que c’est assez calme… presque féérique. A chaque fois, j’ai l’impression de voir des animaux que je dois chasser. J’ai tendance à entendre – enfin je ne sais pas si je les entends réellement ou si c’est mon imagination, justement – des bêtes derrière moi, qui me chassent et je passe en mode chasseur ! C’est marrant, mais ça peut devenir assez flippant aussi.
La première fois que ça m’est arrivé, c’était lors de l’Infernal trail des Vosges en 2014, donc 160 km. C’était la première fois que je faisais deux nuits de suite. J’avais entendu parler des hallucinations avant d’en avoir, mais je ne les appréhendais pas vraiment. J’avais plutôt bien dormi la première nuit donc je ne comptais pas dormir pendant la seconde. Mais au petit jour, j’étais paniqué et j’ai apparemment dit à ma femme « il a failli me rattraper mais c’est bon, je crois que je l’ai semé ! » en parlant d’un animal, j’imagine. J’étais tellement dans mon délire que j’ai accéléré, je n’arrêtais pas de me retourner, je ne contrôlais plus rien. J’étais épuisé.
Suite à ces premières hallucinations, j’ai mis en place des stratégies pour être davantage à l’écoute de mon corps, anticiper la fatigue et faire des micro-siestes. Quand je suis vraiment à bout, j’ai comme des petits flashs quand je cligne des yeux. Et si je n’écoute pas de tels signes, les jeux d’ombres dans la forêt apparaissent. Je les transforme en éléphants, en animaux sauvages… Je pense que ça vient de mon adolescence au Nigéria. On faisait des expéditions dans la savane avec mes copains et on avait toujours peur de tomber nez à nez avec des animaux ! »
Finalement, c’est comme un rêve éveillé. Tu crois que c’est réel, et plus tu te rapproches de l’animal – de l’ombre d’un arbre, plus tu décortiques ce que tu vois et tu reviens au monde réel. Je trouve même les hallucinations plutôt fun et rigolotes ; peut-être parce que jusqu’à maintenant je n’en ai pas eu qui m’ont fait du mal comme pourrait le faire un mauvais rêve. Donc je les accepte très bien, mais je sais qu’il ne faut pas que je tire trop sur la corde du sommeil. Je vis les ultra comme une aventure dont les hallucinations font partie. Et quand le jour se lève, le corps se met dans d’autres dispositions et les possibles animaux sauvages s’en vont avec ! »
Stéphane, 47 ans, préparateur mental, aventurier
« Je n’ai jamais eu d’hallucinations ! Je l’explique surtout parce que j’ai la maladie des gens qui ne rêvent pas. Comme Sylvain Tesson. On ne voyage pas en fermant les yeux, c’est peut-être pour ça d’ailleurs qu’on veut toujours vivre un tas de choses dans la vraie vie.
Pourtant, j’ai tout de même réalisé de longs efforts comme la Petite Trotte à Léon qui a duré 90 heures, en ne dormant que 5 heures. J’étais entouré de personnes en plein délire, semi-conscience et hallus… mais moi : rien. Certains m’ont raconté avoir vu des petits bonhommes sur mon épaule…Quand j’étais au milieu de l’Atlantique, seul pendant 72 jours, ma plus longue nuit a duré 48 minutes. J’étais au bout de l’épuisement ? mais je ne voyais rien d’hallucinatoire. Par contre, je me suis créé des personnages avec qui j’ai pu discuter. Mais ce sont des voix que je choisis moi-même et qui ne me sont pas imposées. Peut-être que je me suis trop forcé à ne jamais accepter quoi que ce soit de non concret, et donc aucune hallucination…»
Sonia, 32 ans, architecte, ultra-traileuse
« Je marchais sur des têtes de petits bonshommes et j’avais l’impression de faire mal à tout le monde, mais il fallait quand même que j’avance ! C’était en 2021 sur l’Infernal trail des Vosges, 200 bornes que j’ai faites en 46 heures… et en ne dormant que dix minutes. Ça a commencé à être assez compliqué à trois ou quatre heures de l’arrivée, dans les sous-bois. J’essayais de me persuader que ces têtes que je voyais n’étaient bien que des pierres sur le sentier, mais j’avais vraiment l’impression de leur faire mal ! Au début de mes hallucinations, il n’y avait pas trop de pierres donc je pouvais les éviter et continuer de courir. Puis je me suis dit que plus j’avancerais rapidement, plus vite j’en aurais fini avec ces écrabouillages.
Heureusement, mon subconscient me disait bien que je marchais sur des pierres, donc j’ai pu continuer d’avancer. Et puis j’étais première féminine, il fallait continuer ! Je me répétais que ce n’étaient que des impressions, que c’était normal, que tout le monde était fatigué. Je croyais même entendre la deuxième féminine me rattraper et courir juste derrière moi. Évidemment, pas du tout.
20 kilomètres avant l’arrivée, d’autres hallucinations sont apparues, plus mentales que visuelles cette fois. J’ai commencé à penser que je trichais, que je coupais le balisage ! Avec le recul, je crois que j’avais l’impression de ne pas mériter d’être à cette place dans la course. Ça reflète sans doute le manque de confiance en soi… Le lendemain, j’ai même vérifié mon parcours en détail sur Strava pour être sûre de ne pas avoir coupé.
La perte de repère est assez intéressante et je me dis que, pendant de telles courses, la fatigue et les peurs sont exacerbées mais font partie du jeu. J’ai même hâte de refaire du vraiment long pour voir comment mon corps réagit face à ces phénomènes auxquels il n’est pas habitué normalement. Voir comment mon cerveau joue avec ma fatigue »
Christophe, 29 ans, photographe, ultra-traileur
« Lors de la première nuit de ma traversée du GR20 (en courant et en semi-autonomie), 30 minutes de sieste ont suffi à me remettre à neuf vers 4 heures du matin. J’étais hyper en forme et je suis reparti en m’arrêtant toutes les cinq ou six heures dans un refuge pour un gros repas.
Vers minuit la deuxième nuit, j’ai entamé une partie dans la forêt et j’ai commencé à voir des serpents à chaque fois qu’il y avait des racines. J’étais vraiment apeuré au début, je sursautais pour les éviter. Mes yeux me montraient des reptiles mais je savais très bien que c’étaient des racines ! C’était à mourir de rire mais ça me rendait fou de le percevoir.
J’ai ensuite vu des personnes qui m’attendaient, au loin sur le bas-côté, pour m’encourager et me regarder passer. En réalité, c’étaient juste des buissons. Pour le premier, j’ai eu peur et je suis arrivé tout doucement vers lui. Tant que je n’étais pas à un mètre de chaque buisson, je pensais à chaque fois voir des silhouettes. On aurait dit des gens qui me tendaient la main pour que je tape dedans ! Une fois que j’avais bien compris ce que mes yeux voulaient me montrer, j’ai commencé à rigoler et demander à chaque personne-buisson comment elle allait, la prévenir que j’arrivais, lui taper dans la main… Je me tapais des délires parce qu’il était tard et que j’étais seul.
Pendant la deuxième nuit, j’ai commencé à être vraiment très fatigué et à chercher un endroit où dormir. A partir de cette prise de décision, dès que je levais les yeux, je voyais des bergeries partout ! Je déviais alors un peu du chemin pour m’y rendre, mais c’étaient en fait d’énormes blocs rocheux. Chaque rocher devenait une habitation pendant au moins vingt minutes. Je pense que mon cerveau cherchait de l’humain, du contact.
La troisième et dernière nuit, les mêmes hallucinations ont recommencé, même si je savais qu’elles étaient fausses. Je ne voyais pas le bout du GR20 et ça me rendait fou. Les buissons et les faux serpents m’agaçaient tellement, je leur demandais de partir !
Mais tout le long de la traversée, j’ai également eu l’impression d’être accompagné et surveillé. J’étais seul dans la forêt mais je me croyais invincible. C’était assez fort et malgré l’énervement sur la fin, j’ai franchement bien vécu les hallucinations… Une fois que j’avais compris le fonctionnement et pris le dessus, ça me faisait même rire ! »
*étude Médecine du Sommeil, UTMB 2015