Après l’effort, le réconfort.
À la table du marathonien le plus épicurien de France.
Savoir se dépasser pour aller franchir cette ligne d’arrivée qui habite nos rêves, c’est un sacré morceau de bravoure. Et apprendre à se récompenser d’un savoureux gueuleton pour célébrer cette prouesse, c’est juste une belle tranche de bonheur.
La ripaille post-course, c’est une tradition qui se respecte. L’appel de la marmite, une motivation intrinsèque lorsque l’on prend le bouillon sur les derniers kilomètres. Le coup de fourchette, la promesse d’une récupération optimale lorsque l’on est tout juste bon à ramasser à la petite cuillère. La gourmandise partagée, la certitude d’un souvenir mémorable au goût de reviens-y. Bref, le banquet du finisher, c’est un art qui se cuisine. Pour l’occasion, Guillaume Gomez, chef des fourneaux du palais de l’Élysée nous reçoit à sa table. Et nous confectionne son brunch idéal.
LE CHEF : « Je m’appelle Guillaume Gomez. Chef des cuisines du palais de l’Élysée depuis 2013, meilleur ouvrier de France à l’âge de 25 ans, boxeur de formation, tombé dans la course à pied en 2012 et finisher de 9 marathons. Rapport plutôt paradoxal avec ce sport puisque je l’apprécie mais la réciproque, certainement du fait de mon mètre 82 et mes 110 kilos, n’est pas vraie. Sur chaque épreuve, du Marathon du Médoc à celui de New-York en passant par le Half-Marathon des Sables, mon objectif n’est pas de gagner, mais de terminer. Sur l’alimentation en course, je sais exactement ce qui me convient, mais je ne suis pas forcément un exemple à suivre. Par contre, pour le banquet d’après-course, je peux me révéler un hôte sympathique avec qui s’attabler (sourire) ! Une à deux heures après l’effort, on est tiraillé entre l’envie d’à peu près tous les goûts qui existent – du salé, du sucré, de l’acide, du piquant… – et la raison, qui nous pousse à ne rien ingérer en trop grosse quantité, car cela serait néfaste pour notre organisme. C’est la raison pour laquelle je préfère et recommande un brunch plutôt qu’un repas classique ! »

Au menu du brunch du Finisher
Pour le salé :
« Une douzaine d’huîtres pour leur côté salin et la récupération des minéraux perdus »
« Un ceviche de Daurade. Assaisonné avec de l’oignon rouge, de la coriandre, un peu de piment, et du citron vert. Beaucoup de citron vert, pour l’acidité ! »
« Deux petites brochettes très grillées : l’une de bœuf, l’autre de volaille. Avec une moutarde faite maison. »
« Du fromage. Le gras réconfortant. Un Comté extra vieux, affiné au moins 24 mois, si ce n’est 30. Et du Roquefort, accompagné de beurre. Du beurre doux. »
« De la charcuterie. D’une qualité sur laquelle je me montrerai intransigeant. Du saucisson de porc classique ainsi que du Jambon Noir de Bigorre. »
« Du pain au levain. Très parfumé et bien cuit. Simple mais efficace. »
Pour le sucré :
« Une glace, plutôt un sorbet de fruits de saison, qui comble la gourmandise en même temps qu’il apporte de la fraîcheur. »
« Un carré de chocolat. Totalement indispensable. Très noir. Avec une teneur en cacao de 70 ou 75%. Le Guanaja 70% de Valrhona est juste top ! »
« J’aime les desserts simples donc idéalement, sur le chariot, on retrouverait un flan, une tarte aux pommes, un quatre-quarts, un cake au citron… »
« Par contre, c’est un brunch qui sort de l’ordinaire car sans viennoiserie ! Je n’explique pas pourquoi, mais elles ne me font pas envie après une course. »

Pour les boissons :
« À nouveau, ce brunch sort des sentiers battus car on n’y retrouve ni thé, ni café. Mais de l’eau. Plate, très fraîche. Et si gazeuse, très gazeuse ! »
« On assimile souvent la bière au réconfort post-effort. Notamment pour sa dimension conviviale. N’étant pas grand amateur de houblon, je lui préférerais un verre de vin. Plutôt rouge. De la Vallée du Rhône ou de Bourgogne. (Un temps de réflexion) Quoique je ne dirais pas non à l’ouverture d’une bonne bouteille de Bordeaux du château Lynch-Bages. En hommage à ce Marathon du Médoc que j’apprécie tant ! »
En guise de mignardise, deux précisions :
« Je recommande, suite à ce brunch, une petite sieste de trente minutes. Montre en main. Après une bonne douche ! »
« Pour le tour de table, je convie tous les finishers qui, comme moi, sont venus à bout de cette satanée course ! Que l’on débriefe et que l’on planifie déjà la prochaine, alors que quelques heures auparavant, on se demandait ce que l’on faisait là et on se promettait secrètement que l’on ne nous reprendrait plus jamais à ce genre de bêtise ! »
Du grain à moudre, malgré l’absence de café…
Pendant ce brunch, entre le sucré et le salé, les langues se sont déliées. Le sourire accroché par les endorphines, l’enthousiasme titillé par le fumet du devoir accompli, les assiettes chaleureusement garnies et les verres toujours à moitié-plein plutôt qu’à moitié-vide, Forrest et le chef Gomez ont mené une discussion à bâtons rompus ! En voici les plus belles parts…
« Lorsque l’on devient le chef d’un établissement qui requiert autant d’assiduité et d’exigence que le palais présidentiel, il faut accepter de ne pas avoir de planning, apprendre à composer avec les imprévus. Surtout que nous, nous sommes ouverts sept jours sur sept… Récemment, il m’est même arrivé de ne pas faire un seul footing entre deux marathons. »
« Parfois il m’arrive d’aller courir à minuit, après le service, parce que je ressens le besoin de décompresser, de réfléchir à une décision importante. »
« J’affichais 115 kilos sur la balance… Je me souviens très bien de ma première séance : 45 minutes à allure modérée. J’ai couru 150 mètres puis le reste ne fût qu’une alternance de marche et de timides foulées… Je me suis alors demandé comment j’allais pouvoir y arriver. Courir 42,195 km me paraissait inimaginable. »
« Peu importe le classement, peu importe le chrono, lorsque tu franchis la ligne d’arrivée, tu es marathonien et ça, personne ne pourra te l’enlever. Le statut de marathonien n’est pas galvaudé. Là, ce n’est pas de la flûte. Il ne suffit plus de le dire, il faut le faire ! »
« Je ne prends absolument aucun plaisir à courir. Mais alors vraiment aucun ! Il faut comprendre que je n’ai pas du tout le physique de l’emploi… Tous les vrais passionnés et médecins avec qui j’en parle m’affirment que je suis un grand malade et souvent tentent de me dissuader. Sauf que moi, rien ne me motive plus que lorsque l’on me croit incapable de réaliser quelque chose. »
« Le coureur, comme le cuisinier, est quelqu’un qui sait se fixer un objectif et parcourir le chemin pour l’atteindre. Moi, dans mon métier, j’arrête quand mon service est terminé, pas quand je suis fatigué. Les gens qui me disent : « Je suis incapable de le faire… », je leur rétorque : Non, t’es pas incapable de le faire ! T’es incapable de trouver la volonté pour essayer… »
« Lorsque vous êtes cuisinier, vous enfilez un dossard plusieurs fois par jour. Chaque service est une course. Ou plutôt une séance de fractionné, avec ses changements de rythme. Encore une fois, on est obligé d’aller au bout des choses. On ne peut dire à un convive : Non désolé, c’est trop dur, cela va trop vite, je préfère m’arrêter ici, à l’entrée… »
« Quand je cours, je laisse mon esprit s’évader. Si bien qu’en course, je suis obligé de programmer une alarme sur ma montre pour ne pas oublier de m’hydrater et m’alimenter. »
« Au Half-Marathon des Sables, nous avons transporté du Porc Noir de Bigorre et de la truffe sur tout le parcours afin de confectionner une soupe Paul Bocuse, en plein milieu du désert péruvien. »
« Les gels énergétiques ne me réussissent pas du tout, si bien que je préfère ne rien manger du tout pendant l’effort, même sur un marathon de 4h. »
« Après avoir puisé loin dans vos réserves physiques et mentales, il est indispensable de se récompenser […] En ce sens, l’épicurisme alimente et renouvelle le goût de l’effort ! »
« Ma pasta-party d’avant-course ? Il faut que ce soit gourmand ! Comme j’évite la viande dans ces périodes-là, je pars sur un plat végétarien, avec trois types de pâtes différentes. Je les cuis à l’envers, à la façon d’un risotto, dans le bouillon, pour éviter qu’elles soient gorgées d’eau et afin qu’elles conservent leurs meilleurs nutriments. Je les accompagne de basilic, de parmesans et de petites courgettes crues coupées très finement. Après ça, je suis prêt pour la bataille (clin d’œil) ! »